Mon ami, le paysage
J'ai pour voisin et compagnon
Un vaste et puissant paysage
Qui change et luit comme un visage
Devant le seuil de ma maison.
Je vis chez moi de sa lumière
Et de son ciel dont les grands vents
Agenouillent ses bois mouvants
Avec leur ombre sur la terre.
Il est gardé par onze tours
Qui regardent du bout des plaines
De larges mains semer les graines
Sur l'aire immense des labours.
Un chêne y détient l'étendue
Sous sa rugueuse autorité,
Mais les cent doigts de la clarté
Jouent dans ses feuilles suspendues.
Un bruit s'entend : c'est un ruisseau
Qui abaisse de pente en pente
Le geste bleu de son eau lente
Jusqu'à la crique d'un hameau,
Tandis qu'au loin sur les éteules
Tassant le blé sous le soleil
Semble tenir dûment conseil
Le peuple d'or des grandes meules.
J'ai pour voisin et compagnon
Un vaste et puissant paysage
Qui change et luit comme un visage
Devant le seuil de ma maison.
Sous l'azur froid qui le diapre
L'hiver, il accueille mes pas
Pour aiguiser à ses frimas
Ma volonté rugueuse et âpre.
Lorsqu'en Mai brillent les taillis,
Tout mon être tremble et chatoie
De l'immense frisson de joie
Dont son feuillage a tressailli.
En Août quand les moissons proclament
Les triomphes de la clarté,
Je fais régner le bel été
Avec son calme dans mon âme.
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poem by Emile Verhaeren
Added by Poetry Lover
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