Dans l'alcôve sombre
Beau, frais, souriant d'aise à cette vie amère.
Sainte-Beuve
Dans l'alcôve sombre,
Près d'un humble autel,
L'enfant dort à l'ombre
Du lit maternel.
Tandis qu'il repose,
Sa paupière rose,
Pour la terre close,
S'ouvre pour le ciel.
Il fait bien des rêves.
Il voit par moments
Le sable des grèves
Plein de diamants ;
Des soleils de flammes,
Et de belles dames
Qui portent des âmes
Dans leurs bras charmants.
Songe qui l'enchante !
Il voit des ruisseaux.
Une voix qui chante
Sort du fond des eaux.
Ses soeurs sont plus belles.
Son père est près d'elles.
Sa mère a des ailes
Comme les oiseaux.
IL voit mille choses
Plus belles encor ;
Des lys et des roses
Plein le corridor ;
Des lacs de délice
Où le poisson glisse,
Où l'onde se plisse
A des roseaux d'or !
Enfant, rêve encore !
Dors, ô mes amours !
Ta jeune âme ignore
Où s'en vont tes jours.
Comme une algue morte
Tu vas, que t'importe !
Le courant t'emporte,
Mais tu dors toujours !
Sans soin, sans étude,
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poem by Victor Hugo
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L’Invention
O fils du Mincius, je te salue, ô toi
Par qui le dieu des arts fut roi du peuple-roi!
Et vous, à qui jadis, pour créer l'harmonie,
L'Attique et l'onde Égée, et la belle Ionie,
Donnèrent un ciel pur, les plaisirs, la beauté,
Des moeurs simples, des lois, la paix, la liberté,
Un langage sonore aux douceurs souveraines,
Le plus beau qui soit né sur des lèvres humaines!
Nul âge ne verra pâlir vos saints lauriers,
Car vos pas inventeurs ouvrirent les sentiers;
Et du temple des arts que la gloire environne
Vos mains ont élevé la première colonne.
A nous tous aujourd'hui, vos faibles nourrissons,
Votre exemple a dicté d'importantes leçons.
Il nous dit que nos mains, pour vous être fidèles,
Y doivent élever des colonnes nouvelles.
L'esclave imitateur naît et s'évanouit;
La nuit vient, le corps reste, et son ombre s'enfuit.
Ce n'est qu'aux inventeurs que la vie est promise.
Nous voyons les enfants de la fière Tamise,
De toute servitude ennemis indomptés;
Mieux qu'eux, par votre exemple, à vous vaincre excités,
Osons; de votre gloire éclatante et durable
Essayons d'épuiser la source inépuisable.
Mais inventer n'est pas, en un brusque abandon,
Blesser la vérité, le bon sens, la raison;
Ce n'est pas entasser, sans dessein et sans forme,
Des membres ennemis en un colosse énorme;
Ce n'est pas, élevant des poissons dans les airs,
A l'aile des vautours ouvrir le sein des mers;
Ce n'est pas sur le front d'une nymphe brillante
Hérisser d'un lion la crinière sanglante:
Délires insensés! fantômes monstrueux!
Et d'un cerveau malsain rêves tumultueux!
Ces transports déréglés, vagabonde manie,
Sont l'accès de la fièvre et non pas du génie;
D'Ormus et d'Ariman ce sont les noirs combats,
Où, partout confondus, la vie et le trépas,
Les ténèbres, le jour, la forme et la matière,
Luttent sans être unis; mais l'esprit de lumière
Fait naître en ce chaos la concorde et le jour:
D'éléments divisés il reconnaît l'amour,
Les rappelle; et partout, en d'heureux intervalles,
Sépare et met en paix les semences rivales.
Ainsi donc, dans les arts, l'inventeur est celui
Qui peint ce que chacun put sentir comme lui;
Qui, fouillant des objets les plus sombres retraites,
Étale et fait briller leurs richesses secrètes;
Qui, par des noeuds certains, imprévus et nouveaux,
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poem by Andre Marie de Chenier
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Claire
Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne !
O mère au coeur profond, mère, vous avez beau
Laisser la porte ouverte afin qu'elle revienne,
Cette pierre là -bas dans l'herbe est un tombeau !
La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ;
Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t'envolas.
Est-ce donc que là -haut dans l'ombre elles s'appellent,
Qu'elles s'en vont ainsi l'une après l'autre, hélas ?
Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse,
Que ta mère jadis berçait de sa chanson,
Qui d'abord la charmas avec ta petitesse
Et plus tard lui remplis de clarté l'horizon,
Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise !
Voilà que tu n'es plus, ayant à peine été !
L'astre attire le lys, et te voilà reprise,
O vierge, par l'azur, cette virginité !
Te voilà remontée au firmament sublime,
Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois,
Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l'abîme
Des rayons, des amours, des parfums et des voix !
Nous ne t'entendrons plus rire en notre nuit noire.
Nous voyons seulement, comme pour nous bénir,
Errer dans notre ciel et dans notre mémoire
Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir !
Pressentais-tu déjà ton sombre épithalame ?
Marchant sur notre monde à pas silencieux,
De tous les idéals tu composais ton âme,
Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux !
En te voyant si calme et toute lumineuse,
Les coeurs les plus saignants ne haïssaient plus rien.
Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse ,
Et, comme Ruth l'épi, tu ramassais le bien.
La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce,
L'aurore sa candeur, et les champs leur bonté ;
Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe,
Toute cette douceur dans toute ta beauté !
Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose
Que la forme qui sort des cieux éblouissants ;
Et de tous les rosiers elle semblait la rose,
Et de tous les amours elle semblait l'encens.
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poem by Victor Hugo
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Le Mendiant
C'était quand le printemps a reverdi les prés.
La fille de Lycus, vierge aux cheveux dorés,
Sous les monts Achéens, non loin de Cérynée,
Errait à l'ombre, aux bords du faible et pur Crathis,
Car les eaux du Crathis, sous des berceaux de frêne,
Entouraient de Lycus le fertile domaine.
Soudain, Ã l'autre bord,
Du fond d'un bois épais, un noir fantôme sort,
Tout pâle, demi-nu, la barbe hérissée:
Il remuait à peine une lèvre glacée,
Des hommes et des dieux implorait le secours,
Et dans la forêt sombre errait depuis deux jours;
Il se traîne, il n'attend qu'une mort douloureuse;
Il succombe. L'enfant, interdite et peureuse,
A ce hideux aspect sorti du fond des bois,
Veut fuir; mais elle entend sa lamentable voix.
Il tend les bras, il tombe à genoux; il lui crie
Qu'au nom de tous les dieux il la conjure, il prie,
Et qu'il n'est point à craindre, et qu'une ardente faim
L'aiguillonne et le tue, et qu'il expire enfin.
'Si, comme je le crois, belle dès ton enfance,
C'est le dieu de ces eaux qui t'a donné naissance,
Nymphe, souvent les voeux des malheureux humains
Ouvrent des immortels les bienfaisantes mains,
Ou si c'est quelque front porteur d'une couronne
Qui te nomme sa fille et te destine au trône,
Souviens-toi, jeune enfant, que le ciel quelquefois
Venge les opprimés sur la tête des rois.
Belle vierge, sans doute enfant d'une déesse,
Crains de laisser périr l'étranger en détresse:
L'étranger qui supplie est envoyé des dieux.'
Elle reste. A le voir, elle enhardit ses yeux,
. . . . . . . . et d'une voix encore
Tremblante: 'Ami, le ciel écoute qui l'implore.
Mais ce soir, quand la nuit descend sur l'horizon,
Passe le pont mobile, entre dans la maison;
J'aurai soin qu'on te laisse entrer sans méfiance.
Pour la douzième fois célébrant ma naissance,
Mon père doit donner une fête aujourd'hui.
Il m'aime, il n'a que moi: viens t'adresser à lui,
C'est le riche Lycus. Viens ce soir; il est tendre,
Il est humain: il pleure aux pleurs qu'il voit répandre.'
Elle achève ces mots, et, le coeur palpitant,
S'enfuit; car l'étranger sur elle, en l'écoutant,
Fixait de ses yeux creux l'attention avide.
Elle rentre, cherchant dans le palais splendide
L'esclave près de qui toujours ses jeunes ans
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poem by Andre Marie de Chenier
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Chanson des oiseaux
Vie ! ô bonheur ! bois profonds,
Nous vivons.
L'essor sans fin nous réclame ;
Planons sur l'air et les eaux !
Les oiseaux
Sont de la poussière d'âme.
Accourez, planez ! volons
Aux vallons,
A l'antre, Ã l'ombre, Ã l'asile !
Perdons-nous dans cette mer
De l'éther
Où la nuée est une île !
Du fond des rocs et des joncs,
Des donjons,
Des monts que le jour embrase,
Volons, et, frémissants, fous,
Plongeons-nous
Dans l'inexprimable extase !
Oiseaux, volez aux clochers,
Aux rochers,
Au précipice, à la cime,
Aux glaciers, aux lacs, aux prés ;
Savourez
La liberté de l'abîme!
Vie ! azur ! rayons ! frissons !
Traversons
La vaste gaîté sereine,
Pendant que sur les vivants,
Dans les vents,
L'ombre des nuages traîne !
Avril ouvre à deux battants
Le printemps ;
L'été le suit, et déploie
Sur la terre un beau tapis
Fait d'épis,
D'herbe, de fleurs, et de joie.
Buvons, mangeons ; becquetons
Les festons
De la ronce et de la vigne ;
Le banquet dans la forêt
Est tout prêt ;
Chaque branche nous fait signe.
Les pivoines sont en feu ;
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poem by Victor Hugo
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La Fée Et La Péri (The Fay And The Peri)
I
Enfants ! si vous mouriez, gardez bien qu'un esprit
De la route des cieux ne détourne votre âme !
Voici ce qu'autrefois un vieux sage m'apprit : -
Quelques démons, sauvés de l'éternelle flamme,
Rebelles moins pervers que l'Archange proscrit,
Sur la terre, où le feu, l'onde ou l'air les réclame,
Attendent, exilés, le jour de Jésus-Christ.
Il en est qui, bannis des célestes phalanges,
Ont de si douces voix qu'on les prend pour des anges.
Craignez-les : pour mille ans exclus du paradis,
Ils vous entraîneraient, enfants, au purgatoire ! -
Ne me demandez pas d'où me vient cette histoire;
Nos pères l'ont contée; et moi, je la redis.
II
LA PÉRI
Où vas-tu donc, jeune âme?... Écoute !
Mon palais pour toi veut s'ouvrir.
Suis-moi, des cieux quitte la route;
Hélas ! tu t'y perdrais sans doute,
Nouveau-né, qui viens de mourir !
Tu pourras jouer à toute heure
Dans mes beaux jardins aux fruits d'or;
Et de ma riante demeure
Tu verras ta mère qui pleure
Près de ton berceau, tiède encor.
Des Péris je suis la plus belle;
Mes sueurs règnent où naît le jour;
Je brille en leur troupe immortelle,
Comme entre les fleurs brille celle
Que l'on cueille en rêvant d'amour.
Mon front porte un turban de soie;
Mes bras de rubis sont couverts;
Quand mon vol ardent se déploie,
L'aile de pourpre qui tournoie
Roule trois yeux de flamme ouverts.
Plus blanc qu'une lointaine voile,
Mon corps n'en a point la pâleur;
En quelque lieu qu'il se dévoile,
Il l'éclaire comme une étoile,
Il l'embaume comme une fleur.
LA FÉE
Viens, bel enfant ! Je suis la Fée.
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poem by Victor Hugo
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A propos d'Horace
Marchands de grec ! marchands de latin ! cuistres ! dogues!
Philistins ! magisters ! je vous hais, pédagogues !
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,
Vous niez l'idéal, la grâce et la beauté !
Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles !
Car, avec l'air profond, vous êtes imbéciles !
Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout !
Car vous êtes mauvais et méchants ! -- Mon sang bout
Rien qu'à songer au temps où, rêveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j'étais en rhétorique !
Que d'ennuis ! de fureurs ! de bêtises ! -- gredins ! --
Que de froids châtiments et que de chocs soudains !
«Dimanche en retenue et cinq cents vers d'Horace !»
Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse,
Et je balbutiais : «Monsieur... -- Pas de raisons !
Vingt fois l'ode à Panclus et l'épître aux Pisons !»
Or j'avais justement, ce jour là , -- douce idée
Qui me faisait rêver d'Armide et d'Haydée, --
Un rendez-vous avec la fille du portier.
Grand Dieu ! perdre un tel jour ! le perdre tout entier !
Je devais, en parlant d'amour, extase pure !
En l'enivrant avec le ciel et la nature,
La mener, si le temps n'était pas trop mauvais,
Manger de la galette aux buttes Saint-Gervais !
Rêve heureux ! je voyais, dans ma colère bleue,
Tout cet Éden, congé, les lilas, la banlieue,
Et j'entendais, parmi le thym et le muguet,
Les vagues violons de la mère Saguet !
O douleur ! furieux, je montais à ma chambre,
Fournaise au mois de juin, et glacière en décembre ;
Et, là , je m'écriais :
-- Horace ! ô bon garçon !
Qui vivais dans le calme et selon la raison,
Et qui t'allais poser, dans ta sagesse franche,
Sur tout, comme l'oiseau se pose sur la branche,
Sans peser, sans rester, ne demandant aux dieux
Que le temps de chanter ton chant libre et joyeux !
Tu marchais, écoutant le soir, sous les charmilles,
Les rires étouffés des folles jeunes filles,
Les doux chuchotements dans l'angle obscur du bois ;
Tu courtisais ta belle esclave quelquefois,
Myrtale aux blonds cheveux, qui s'irrite et se cabre
Comme la mer creusant les golfes de Calabre,
Ou bien tu t'accoudais à la table, buvant sec
Ton vin que tu mettais toi-même en un pot grec.
Pégase te soufflait des vers de sa narine ;
Tu songeais; tu faisais des odes à Barine,
A Mécène, à Virgile, à ton champ de Tibur,
A Chloë, qui passait le long de ton vieux mur,
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A Villequier
Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres,
Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ;
Maintenant que je suis sous les branches des arbres,
Et que je puis songer à la beauté des cieux ;
Maintenant que du deuil qui m'a fait l'âme obscure
Je sors, pâle et vainqueur,
Et que je sens la paix de la grande nature
Qui m'entre dans le cœur ;
Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
Emu par ce superbe et tranquille horizon,
Examiner en moi les vérités profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ;
Maintenant, ô mon Dieu ! que j'ai ce calme sombre
De pouvoir désormais
Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l'ombre
Elle dort pour jamais ;
Maintenant qu'attendri par ces divins spectacles,
Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté,
Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,
Je reprends ma raison devant l'immensité ;
Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ;
Je vous porte, apaisé,
Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire
Que vous avez brisé ;
Je viens à vous, Seigneur ! confessant que vous êtes
Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant !
Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,
Et que l'homme n'est rien qu'un jonc qui tremble au vent ;
Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament ;
Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement ;
Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,
Possédez l'infini, le réel, l'absolu ;
Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste
Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu !
Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive
Par votre volonté.
L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,
Roule à l'éternité.
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A des oiseaux envolés
Enfants ! - Oh ! revenez ! Tout à l'heure, imprudent,
Je vous ai de ma chambre exilés en grondant,
Rauque et tout hérissé de paroles moroses.
Et qu'aviez-vous donc fait, bandits aux lèvres roses ?
Quel crime ? quel exploit ? quel forfait insensé ?
Quel vase du Japon en mille éclats brisé ?
Quel vieux portrait crevé ? Quel beau missel gothique
Enrichi par vos mains d'un dessin fantastique ?
Non, rien de tout cela. Vous aviez seulement,
Ce matin, restés seuls dans ma chambre un moment,
Pris, parmi ces papiers que mon esprit colore,
Quelques vers, groupe informe, embryons près d'éclore,
Puis vous les aviez mis, prompts à vous accorder,
Dans le feu, pour jouer, pour voir, pour regarder
Dans une cendre noire errer des étincelles,
Comme brillent sur l'eau de nocturnes nacelles,
Ou comme, de fenêtre en fenêtre, on peut voir
Des lumières courir dans les maisons le soir.
Voilà tout. Vous jouiez et vous croyiez bien faire.
Belle perte, en effet ! beau sujet de colère !
Une strophe, mal née au doux bruit de vos jeux,
Qui remuait les mots d'un vol trop orageux !
Une ode qui chargeait d'une rime gonflée
Sa stance paresseuse en marchant essoufflée !
De lourds alexandrins l'un sur l'autre enjambant
Comme des écoliers qui sortent de leur banc !
Un autre eût dit : - Merci ! Vous ôtez une proie
Au feuilleton méchant qui bondissait de joie
Et d'avance poussait des rires infernaux
Dans l'antre qu'il se creuse au bas des grands journaux. -
Moi, je vous ai grondés. Tort grave et ridicule !
Nains charmants que n'eût pas voulu fâcher Hercule,
Moi, je vous ai fait peur. J'ai, rêveur triste et dur,
Reculé brusquement ma chaise jusqu'au mur,
Et, vous jetant ces noms dont l'envieux vous nomme,
J'ai dit : - Allez-vous-en ! laissez-moi seul ! - Pauvre homme !
Seul ! le beau résultat ! le beau triomphe ! seul !
Comme on oublie un mort roulé dans son linceul,
Vous m'avez laissé là , l'oeil fixé sur ma porte,
Hautain, grave et puni. - Mais vous, que vous importe !
Vous avez retrouvé dehors la liberté,
Le grand air, le beau parc, le gazon souhaité,
L'eau courante où l'on jette une herbe à l'aventure,
Le ciel bleu, le printemps, la sereine nature,
Ce livre des oiseaux et des bohémiens,
Ce poème de Dieu qui vaut mieux que les miens,
Où l'enfant peut cueillir la fleur, strophe vivante,
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poem by Victor Hugo
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D'après Albert Dürer
Le frêle esquif sur la mer sombre
Sombre;
La foudre perce d'un éclair
L'air.
C'est minuit. L'eau gémit, le tremble
Tremble,
Et tout bruit dans le manoir
Noir;
Sur la tour inhospitalière
Lierre,
Dans les fossés du haut donjon,
Jonc;
Dans les cours, dans les colossales
Salles,
Et dans les cloîtres du couvent,
Vent.
La cloche, de son aile atteinte,
Tinte,
Et son bruit tremble en s'envolant
Lent.
Le son qui dans l'air se disperse
Perce
La tombe où le mort inconnu,
Nu,
Épelant quelque obscur problème
Blême,
Tandis qu'au loin le vent mugit,
Gît.
Tous se répandent dans les ombres,
Sombres,
Rois, reines, clercs, soudards, nonnains,
Nains.
La voix qu'ils élèvent ensemble,
Semble
Le dernier soupir qu'un mourant
Rend.
Les ombres vont au clair de lune,
L'une
En mitre et l'autre en chaperon
Rond.
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poem by Victor Hugo
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The Graveyard By The Sea
This quiet roof, where dove-sails saunter by,
Between the pines, the tombs, throbs visibly.
Impartial noon patterns the sea in flame --
That sea forever starting and re-starting.
When thought has had its hour, oh how rewarding
Are the long vistas of celestial calm!
What grace of light, what pure toil goes to form
The manifold diamond of the elusive foam!
What peace I feel begotten at that source!
When sunlight rests upon a profound sea,
Time's air is sparkling, dream is certainty --
Pure artifice both of an eternal Cause.
Sure treasure, simple shrine to intelligence,
Palpable calm, visible reticence,
Proud-lidded water, Eye wherein there wells
Under a film of fire such depth of sleep --
O silence! . . . Mansion in my soul, you slope
Of gold, roof of a myriad golden tiles.
Temple of time, within a brief sigh bounded,
To this rare height inured I climb, surrounded
By the horizons of a sea-girt eye.
And, like my supreme offering to the gods,
That peaceful coruscation only breeds
A loftier indifference on the sky.
Even as a fruit's absorbed in the enjoying,
Even as within the mouth its body dying
Changes into delight through dissolution,
So to my melted soul the heavens declare
All bounds transfigured into a boundless air,
And I breathe now my future's emanation.
Beautiful heaven, true heaven, look how I change!
After such arrogance, after so much strange
Idleness -- strange, yet full of potency --
I am all open to these shining spaces;
Over the homes of the dead my shadow passes,
Ghosting along -- a ghost subduing me.
My soul laid bare to your midsummer fire,
O just, impartial light whom I admire,
Whose arms are merciless, you have I stayed
And give back, pure, to your original place.
Look at yourself . . . But to give light implies
No less a somber moiety of shade.
Oh, for myself alone, mine, deep within
At the heart's quick, the poem's fount, between
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poem by Paul Valery
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L'Aveugle
'Dieu dont l'arc est d'argent, dieu de Claros, écoute;
O Sminthée-Apollon, je périrai sans doute,
Si tu ne sers de guide à cet aveugle errant.'
C'est ainsi qu'achevait l'aveugle en soupirant,
Et près des bois marchait, faible, et sur une pierre
S'asseyait. Trois pasteurs, enfants de cette terre,
Le suivaient, accourus aux abois turbulents
Des molosses, gardiens de leurs troupeaux bêlants.
Ils avaient, retenant leur fureur indiscrète,
Protégé du vieillard la faiblesse inquiète;
Ils l'écoutaient de loin, et s'approchant de lui:
Quel est ce vieillard blanc, aveugle et sans appui?
Serait-ce un habitant de l'empire céleste?
Ses traits sont grands et fiers; de sa ceinture agreste
Pend une lyre informe; et les sons de sa voix
Émeuvent l'air et l'onde, et le ciel et les bois.'
Mais il entend leurs pas, prête l'oreille, espère,
Se trouble, et tend déjà les mains à la prière.
'Ne crains point, disent-ils, malheureux étranger,
Si plutôt, sous un corps terrestre et passager,
Tu n'es point quelque dieu protecteur de la Grèce,
Tant une grâce auguste ennoblit ta vieillesse!
Si tu n'es qu'un mortel, vieillard infortuné,
Les humains près de qui les flots t'ont amené
Aux mortels malheureux n'apportent point d'injures.
Les destins n'ont jamais de faveurs qui soient pures.
Ta voix noble et touchante est un bienfait des dieux;
Mais aux clartés du jour ils ont fermé tes yeux.
--Enfants, car votre voix est enfantine et tendre,
Vos discours sont prudents plus qu'on n'eût dû l'attendre;
Mais, toujours soupçonneux, l'indigent étranger
Croit qu'on rit de ses maux et qu'on veut l'outrager.
Ne me comparez point à la troupe immortelle:
Ces rides, ces cheveux, cette nuit éternelle,
Voyez, est-ce le front d'un habitant des cieux?
Je ne suis qu'un mortel, un des plus malheureux!
Si vous en savez un, pauvre, errant, misérable,
C'est à celui-là seul que je suis comparable;
Et pourtant je n'ai point, comme fit Thamyris,
Des chansons à Phoebus voulu ravir le prix;
Ni, livré comme Oedipe à la noire Euménide,
Je n'ai puni sur moi l'inceste parricide;
Mais les dieux tout-puissants gardaient à mon déclin
Les ténèbres, l'exil, l'indigence et la faim.
--Prends, et puisse bientôt changer ta destinée!'
Disent-ils. Et tirant ce que, pour leur journée,
[...] Read more
poem by Andre Marie de Chenier
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Hermes
FRAGMENT I.--PROLOGUE.
Dans nos vastes cités, par le sort partagés,
Sous deux injustes lois les hommes sont rangés:
Les uns, princes et grands, d'une avide opulence
Étalent sans pudeur la barbare insolence;
Les autres, sans pudeur, vils clients de ces grands,
Vont ramper sous les murs qui cachent leurs tyrans.
Admirer ces palais aux colonnes hautaines
Dont eux-mêmes ont payé les splendeurs inhumaines,
Qu'eux-mêmes ont arrachés aux entrailles des monts,
Et tout trempés encor des sueurs de leurs fronts.
Moi, je me plus toujours, client de la nature,
A voir son opulence et bienfaisante et pure,
Cherchant loin de nos murs les temples, les palais
Où la Divinité me révèle ses traits,
Ces monts, vainqueurs sacrés des fureurs du tonnerre,
Ces chênes, ces sapins, premiers-nés de la terre.
Les pleurs des malheureux n'ont point teint ces lambris.
D'un feu religieux le saint poète épris
Cherche leur pur éther et plane sur leur cime.
Mer bruyante, la voix du poète sublime
Lutte contre les vents; et tes flots agités
Sont moins forts, moins puissants que ses vers indomptés.
A l'aspect du volcan, aux astres élancée,
Luit, vole avec l'Etna, la bouillante pensée.
Heureux qui sait aimer ce trouble auguste et grand!
Seul, il rêve en silence à la voix du torrent
Qui le long des rochers se précipite et tonne;
Son esprit en torrent et s'élance et bouillonne.
Là , je vais dans mon sein méditant à loisir
Des chants à faire entendre aux siècles à venir;
Là , dans la nuit des coeurs qu'osa sonder Homère,
Cet aveugle divin et me guide et m'éclaire.
Souvent mon vol, armé des ailes de Buffon,
Franchit avec Lucrèce, au flambeau de Newton,
La ceinture d'azur sur le globe étendue.
Je vois l'être et la vie et leur source inconnue,
Dans les fleuves d'éther tous les mondes roulants.
Je poursuis la comète aux crins étincelants,
Les astres et leurs poids, leurs formes, leurs distances;
Je voyage avec eux dans leurs cercles immenses.
Comme eux, astre, soudain je m'entoure de feux;
Dans l'éternel concert je me place avec eux:
En moi leurs doubles lois agissent et respirent:
Je sens tendre vers eux mon globe qu'ils attirent;
Sur moi qui les attire ils pèsent à leur tour.
Les éléments divers, leur haine, leur amour,
Les causes, l'infini s'ouvre à mon oeil avide.
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poem by Andre Marie de Chenier
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Charles Vacquerie
Il ne sera pas dit que ce jeune homme, ô deuil !
Se sera de ses mains ouvert l'affreux cercueil
Où séjourne l'ombre abhorrée,
Hélas ! et qu'il aura lui-même dans la mort
De ses jours généreux, encor pleins jusqu'au bord,
Renversé la coupe dorée,
Et que sa mère, pâle et perdant la raison,
Aura vu rapporter au seuil de sa maison,
Sous un suaire aux plis funèbres,
Ce fils, naguère encor pareil au jour qui naît,
Maintenant blème et froid, tel que la mort venait
De le faire pour les ténèbres ;
Il ne sera pas dit qu'il sera mort ainsi,
Qu'il aura, coeur profond et par l'amour saisi,
Donné sa vie à ma colombe,
Et qu'il l'aura suivie au lieu morne et voilé,
Sans que la voix du père à genoux ait parlé
A cet âme dans cette tombe !
En présence de tant d'amour et de vertu,
Il ne sera pas dit que je me serai tu,
Moi qu'attendent les maux sans nombre !
Que je n'aurai point mis sur sa bière un flambeau,
Et que je n'aurai pas devant son noir tombeau
Fait asseoir une strophe sombre !
N'ayant pu la sauver, il a voulu mourir.
Sois béni, toi qui, jeune, à l'âge où vient s'offrir
L'espérance joyeuse encore,
Pouvant rester, survivre, épuiser tes printemps,
Ayant devant les yeux l'azur de tes vingt ans
Et le sourire de l'aurore,
A tout ce que promet la jeunesse, aux plaisirs,
Aux nouvelles amours, aux oublieux désirs
Par qui toute peine est bannie,
A l'avenir, trésor des jours à peine éclos,
A la vie, au soleil, préféras sous les flots
L'étreinte de cette agonie !
Oh ! quelle sombre joie à cet être charmant
De se voir embrassée au suprême moment,
Par ton doux désespoir fidèle !
La pauvre âme a souri dans l'angoisse, en sentant
A travers l'eau sinistre et l'effroyable instant
Que tu t'en venais avec elle !
Leurs âmes se parlaient sous les vagues rumeurs.
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poem by Victor Hugo
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Louis XVII (King Louis XVII)
Capet, éveille-toi
I
En ces temps-là , du ciel les portes d'or s'ouvrirent;
Du Saint des Saints ému les feux se découvrirent :
Tous les cieux un moment brillèrent dévoilés;
Et les élus voyaient, lumineuses phalanges,
Venir une jeune âme entre de jeunes anges
Sous les portiques étoilés.
C'était un bel enfant qui fuyait de la terre;—
Son oeil bleu du malheur portait le signe austère;
Ses blonds cheveux flottaient sur ses traits pâlissants;
Et les vierges du ciel, avec des chants de fête,
Aux palmes du Martyre unissaient sur sa tête
La couronne des Innocents.
On entendit des voix qui disaient dans la nue :
—' Jeune ange, Dieu sourit à ta gloire ingénue;
Viens, rentre dans ses bras pour ne plus en sortir;
Et vous, qui du Très-Haut racontez les louanges,
Séraphins, prophètes, archanges,
Courbez-vous, c'est un Roi; chantez, c'est un Martyr! '
—' Où donc ai-je régné, demandait la jeune ombre ?
Je suis un prisonnier, je ne suis point un roi.
Hier je m'endormis au fond d'une tour sombre.
Où donc ai-je régné ? Seigneur, dites-le-moi.
Hélas! mon père est mort d'une mort bien amère;
Ses bourreaux, ô mon Dieu, m'ont abreuvé de fiel;
Je suis un orphelin; je viens chercher ma mère,
Qu'en mes rêves j'ai vue au ciel. '
Les anges répondaient:—' Ton Sauveur te réclame.
Ton Dieu d'un monde impie a rappelé ton âme.
Fuis la terre insensée où l'on brise la Croix,
Où jusque dans la mort descend le Régicide,
Où le Meurtre, d 'horreurs avide,
Fouille dans les tombeaux pour y chercher des rois! '
—' Quoi! de ma lente vie ai-je achevé le reste ?
Disait-il; tous mes maux, les ai-je enfin soufferts ?
Est-il vrai qu'un geôlier, de ce rêve céleste,
Ne viendra pas demain m'éveiller dans mes fers ?
Captif, de mes tourments cherchant la fin prochaine,
J'ai prié; Dieu veut-il enfin me secourir ?
Oh! n'est-ce pas un songe ? a-t-il brisé ma chaine ?
Ai-je eu le bonheur de mourir ?
' Car vous ne savez point quelle était ma misère !
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poem by Victor Hugo
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Vendémiaire
Hommes de l'avenir souvenez-vous de moi
Je vivais à l'époque où finissaient les rois
Tour à tour ils mouraient silencieux et tristes
Et trois fois courageux devenaient trismégistes
Que Paris était beau à la fin de septembre
Chaque nuit devenait une vigne où les pampres
Répandaient leur clarté sur la ville et là -haut
Astres mûrs becquetés par les ivres oiseaux
De ma gloire attendaient la vendange de l'aube
Un soir passant le long des quais déserts et sombres
En rentrant à Auteuil j'entendis une voix
Qui chantait gravement se taisant quelquefois
Pour que parvînt aussi sur les bords de la Seine
La plainte d'autres voix limpides et lointaines
Et j'écoutai longtemps tous ces chants et ces cris
Qu'éveillait dans la nuit la chanson de Paris
J'ai soif villes de France et d'Europe et du monde
Venez toutes couler dans ma gorge profonde
Je vis alors que déjà ivre dans la vigne
Paris Vendangeait le raisin le plus doux de la terre
Ces grains miraculeux qui aux treilles chantèrent
Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes
Nous voici ô Paris Nos maisons nos habitants
Ces grappes de nos sens qu'enfanta le soleil
Se sacrifient pour te désaltérer trop avide merveille
Nous t'apportons tous les cerveaux les cimetières les murailles
Ces berceaux pleins de cris que tu n'entendras pas
Et d'amont en aval nos pensées ô rivières
Les oreilles des écoles et nos mains rapprochées
Aux doigts allongés nos mains les clochers
Et nous t'apportons aussi cette souple raison
Que le mystère clôt comme une porte la maison
Ce mystère courtois de la galanterie
Ce mystère fatal fatal d'une autre vie
Double raison qui est au-delà de la beauté
Et que la Grèce n'a pas connue ni l'Orient
Double raison de la Bretagne où lame à lame
L'océan châtre peu à peu l'ancien continent
Et les villes du Nord répondirent gaiement
Ô Paris nous voici boissons vivantes
Les viriles cités où dégoisent et chantent
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poem by Guillaume Apollinaire
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A ma fille
O mon enfant, tu vois, je me soumets.
Fais comme moi : vis du monde éloignée ;
Heureuse ? non ; triomphante ? jamais.
-- Résignée ! --
Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l'azur de tes yeux
Mets ton âme !
Nul n'est heureux et nul n'est triomphant.
L'heure est pour tous une chose incomplète ;
L'heure est une ombre, et notre vie, enfant,
En est faite.
Oui, de leur sort tous les hommes sont las.
Pour être heureux, à tous, -- destin morose ! --
Tout a manqué. Tout, c'est-à -dire, hélas !
Peu de chose.
Ce peu de chose est ce que, pour sa part,
Dans l'univers chacun cherche et désire:
Un mot, un nom, un peu d'or, un regard,
Un sourire !
La gaîté manque au grand roi sans amours ;
La goutte d'eau manque au désert immense.
L'homme est un puits où le vide toujours
Recommence.
Vois ces penseurs que nous divinisons,
Vois ces héros dont les fronts nous dominent,
Noms dont toujours nos sombres horizons
S'illuminent !
Après avoir, comme fait un flambeau,
Ébloui tout de leurs rayons sans nombre,
Ils sont allés chercher dans le tombeau
Un peu d'ombre.
Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs,
Prend en pitié nos jours vains et sonores.
Chaque matin, il baigne de ses pleurs
Nos aurores.
Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas,
Sur ce qu'il est et sur ce que nous sommes ;
Une loi sort des choses d'ici-bas,
Et des hommes !
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poem by Victor Hugo
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A Le Brun Et Au Marquis De Brazais
Le Brun, qui nous attends aux rives de la Seine,
Quand un destin jaloux loin de toi nous enchaîne;
Toi, Brazais, comme moi sur ces bords appelé,
Sans qui de l'univers je vivrais exilé;
Depuis que de Pandore un regard téméraire
Versa sur les humains un trésor de misère,
Pensez-vous que du ciel l'indulgente pitié
Leur ait fait un présent plus beau que l'amitié?
Ah! si quelque mortel est né pour la connaître.
C'est nous, âmes de feu, dont l'Amour est le maître.
Le cruel trop souvent empoisonne ses coups;
Elle garde à nos coeurs ses baumes les plus doux.
Malheur au jeune enfant seul, sans ami, sans guide,
Qui près de la beauté rougit et s'intimide,
Et, d'un pouvoir nouveau lentement dominé,
Par l'appât du plaisir doucement entraîné,
Crédule, et sur la foi d'un sourire volage,
A cette mer trompeuse et se livre et s'engage!
Combien de fois, tremblant et les larmes aux yeux,
Ses cris accuseront l'inconstance des dieux!
Combien il frémira d'entendre sur sa tête
Gronder les aquilons et la noire tempête,
Et d'écueils en écueils portera ses douleurs
Sans trouver une main pour essuyer ses pleurs!
Mais heureux dont le zèle, au milieu du naufrage,
Viendra le recueillir, le pousser au rivage;
Endormir dans ses flancs le poison ennemi;
Réchauffer dans son sein le sein de son ami,
Et de son fol amour étouffer la semence,
Ou du moins dans son coeur ranimer l'espérance!
Qu'il est beau de savoir, digne d'un tel lien,
Au repos d'un ami sacrifier le sien!
Plaindre de s'immoler l'occasion ravie,
Être heureux de sa joie et vivre de sa vie!
Si le ciel a daigné d'un regard amoureux
Accueillir ma prière et sourire à mes voeux,
Je ne demande point que mes sillons avides
Boivent l'or du Pactole et ses trésors liquides;
Ni que le diamant, sur la pourpre enchaîné,
Pare mon coeur esclave au Louvre prosterné;
Ni même, voeu plus doux! que la main d'Uranie
Embellisse mon front des palmes du génie;
Mais que beaucoup d'amis, accueillis dans mes bras,
Se partagent ma vie et pleurent mon trépas;
Que ces doctes héros, dont la main de la Gloire
A consacré les noms au temple de Mémoire,
Plutôt que leurs talents, inspirent à mon coeur
Les aimables vertus qui firent leur bonheur;
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poem by Andre Marie de Chenier
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A qui la faute?
Tu viens d'incendier la Bibliothèque ?
- Oui.
J'ai mis le feu là .
- Mais c'est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître
À mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
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poem by Victor Hugo
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Aux proscrits
EN PLANTANT LE CHÊNE DES ÉTATS-UNIS D'EUROPE
DANS LE JARDIN DE HAUTEVILLE HOUSE
LE 14 JUILLET 1870
I
Semons ce qui demeure, ô passants que nous sommes !
Le sort est un abîme, et ses flots sont amers,
Au bord du noir destin, frères, semons des hommes,
Et des chênes au bord des mers !
Nous sommes envoyés, bannis, sur ce calvaire,
Pour être vus de loin, d'en bas, par nos vainqueurs,
Et pour faire germer par l'exemple sévère
Des coeurs semblables à nos coeurs.
Et nous avons aussi le devoir, ô nature,
D'allumer des clartés sous ton fauve sourcil,
Et de mettre à ces rocs la grande signature
De l'avenir et de l'exil.
Sachez que nous pouvons faire sortir de terre
Le chêne triomphal que l'univers attend,
Et faire frissonner dans son feuillage austère
L'idée au sourire éclatant.
La matière aime et veut que notre appel l'émeuve ;
Le globe est sous l'esprit, et le grand verbe humain
Enseigne l'être, et l'onde, et la sève, et le fleuve,
Qui lui demandent leur chemin.
L'homme, quand il commande aux flots de le connaître,
Aux mers de l'écouter dans le bruit qu'elles font,
A la terre d'ouvrir son flanc, aux temps de naître,
Est un mage immense et profond.
Ayons foi dans ce germe ! Amis, il nous ressemble.
Il sera grand et fort, puisqu'il est faible et nu.
Nous sommes ses pareils, bannis, nous en qui tremble
Tout un vaste monde inconnu !
Nous fûmes secoués d'un arbre formidable,
Un soir d'hiver, à l'heure où le monde est puni,
Nous fûmes secoués, frères, dans l'insondable,
Dans l'ouragan, dans l'infini.
Chacun de nous contient le chêne République ;
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poem by Victor Hugo
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Merveille de la guerre
Que c'est beau ces fusées qui illuminent la nuit
Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour regarder
Ce sont des dames qui dansent avec leurs regards pour yeux bras et cœurs
J'ai reconnu ton sourire et ta vivacité
C'est aussi l'apothéose quotidienne de toutes mes Bérénices dont les chevelures sont devenues des comètes
Ces danseuses surdorées appartiennent à tous les temps et à toutes les races
Elles accouchent brusquement d'enfants qui n'ont que le temps de mourir
Comme c'est beau toutes ces fusées
Mais ce serait bien plus beau s'il y en avait plus encore
S'il y en avait des millions qui auraient un sens complet et relatif comme les lettres d'un livre
Pourtant c'est aussi beau que si la vie même sortait des mourants
Mais ce serait plus beau encore s'il y en avait plus encore
Cependant je les regarde comme une beauté qui s'offre et s'évanouit aussitôt
Il me semble assister à un grand festin éclairé a giorno
C'est un banquet que s'offre la terre
Elle a faim et ouvre de longues bouches pâles
La terre a faim et voici son festin de Balthasar cannibale
Qui aurait dit qu'on pût être à ce point anthropophage
Et qu'il fallût tant de feu pour rôtir le corps humain
C'est pourquoi l'air a un petit goût empyreumatique qui n'est ma foi pas désagréable
Mais le festin serait plus beau encore si le ciel y mangeait avec la terre
Il n'avale que les âmes
Ce qui est une façon de ne pas se nourrir
Et se contente de jongler avec des feux versicolores
Mais j'ai coulé dans la douceur de cette guerre avec toute ma compagnie au long des longs boyaux
Quelques cris de flamme annoncent sans cesse ma présence
J'ai creusé le lit où je coule en me ramifiant en mille petits fleuves qui vont partout
Je suis dans la tranchée de première ligne et cependant je suis partout ou plutôt je commence à être partout
C'est moi qui commence cette chose des siècles à venir
Ce sera plus long à réaliser que non la fable d'Icare volant
Je lègue à l'avenir l'histoire de Guillaume Apollinaire
Qui fut à la guerre et sut être partout
Dans les villes heureuses de l'arrière
Dans tout le reste de l'univers
Dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé
Dans les femmes dans les canons dans les chevaux
Au zénith au nadir aux 4 points cardinaux
Et dans l'unique ardeur de cette veillée d'armes
Et ce serait sans doute bien plus beau
Si je pouvais supposer que toutes ces choses dans lesquelles je suis partout
Pouvaient m'occuper aussi
Mais dans ce sens il n'y a rien de fait
Car si je suis partout à cette heure il n'y a cependant que moi qui suis en moi
poem by Guillaume Apollinaire
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